Histoire –
Le 9 janvier, les panaméens commémorent le Jour des Martyrs, en référence au soulèvement populaire du 9 janvier 1964, lorsque des manifestations auprès de la zone du Canal de Panamá ont dérapé et provoqué de terribles violences. Petit retour en arrière pour comprendre le contexte :
La construction du canal de Panamá a commencé sous la direction d’un groupement français mené par Ferdinand de Lesseps. Suite à la faillite de la compagnie, l’ouvrage a été racheté par les États-Unis et mené à bien sous l’impulsion du président Roosevelt. En échange du soutien des États-Unis à l’indépendance du Panamá (vis-à-vis de la Colombie), le Panamá leur accordait le contrôle total de la « zone du canal » dans le cadre d’une concession perpétuelle.
La vie dans la zone du Canal de Panamá
Dès son inauguration, le canal est un succès. Sa situation accélère et facilite le transit international des marchandises, et les panaméens ne peuvent qu’observer de loin comment cet ouvrage, basé au coeur de leur pays, permet d’en enrichir un autre. Car le canal sépare le pays en deux, mais à moins de travailler pour les autorités américaines, aucun panaméen n’est autorisé à l’approcher : il est entouré d’une grande zone militaire protégée. Des familles entières d’américains y ont créé des quartiers résidentiels, des commerces, des écoles… Ils vivent dans la richesse mais sans se mêler à la population locale ni lui faire bénéficier de ces richesses, ce n’est que de l’entre soi.
Depuis les années 50, plusieurs mouvements de protestions sont apparus, notamment chez les jeunes, avec une seul revendication: ils veulent récupérer cette partie de leur pays. Techniquement, ces terres appartiennent au Panamá, et ces mouvements souhaitent la renégociation du contrat de concession, pour qu’elle ne soit plus illimitée.
Une tentative de conciliation
A plusieurs occasions, des panaméens forceront l’entrée de la zone du canal afin d’aller y accrocher leur drapeau national. Face à la multiplication des incidents, les deux pays tentent de trouver un accord. Fin 1963, dans une tentative de conciliation, il est décidé que le drapeau panaméen serait hissé à côté du drapeau américain dans les parties considérées comme « civiles » de la zone, mais pas dans les parties militaires, ni sur les navires, ni devant les écoles n’accueillant que des élèves américains. Le moins qu’on puisse dire, c’est que personne n’est content : d’un côté, les américains n’acceptent pas de hisser un autre drapeau avec le leur, à leurs yeux ils sont sur un terrain américain et ne voient pas pourquoi cela devrait changer ; de l’autre les panaméens n’apprécient pas qu’on ne reconnaisse le droit au drapeau panaméen de flotter partout dans la zone, et qu’il ne soit toujours pas question de renégocier le contrat de concession. L’accord est censé entrer en application au 1er janvier 1964, mais dès les premiers jours les provocations s’enchaînent, les américains omettant volontairement de hisser le drapeau panaméen. La révolte gronde dans les universités panaméennes et on y prépare de nouvelles actions. C’est le début du soulèvement populaire.
Le 9 janvier 1964, c’est la tragédie
Un important groupe d’étudiants panaméens se sont approchés de la zone du canal, apportant avec eux, comme un symbole, le drapeau panaméen de leur propre école, réclamant de pouvoir entrer dans la zone et hisser leur drapeau. Face à eux, de nombreux civils américains voulant empêcher leur entrée. Entre les deux, des policiers américains tentant vainement une médiation. Des mouvements de foule, des disputes, et le vieux drapeau symbolique se retrouve déchiré en lambeaux. La colère panaméenne ne retombera pas. La nouvelle de cette attaque symbolique à la nation se diffuse rapidement dans la population, et de nombreuses personnes rejoignent les étudiants à l’entrée de la zone du canal. Les protestations d’abord pacifiques se transforment en affrontements, sévèrement réprimées par la police américaine. Les responsables de la zone du canal ont demandé à la garde nationale panaméenne de mettre fin aux troubles, mais celle-ci a refusé d’intervenir. Face à l’augmentation du nombre de manifestants, démontant des parties de clôtures, poussant pour entrer, la police du canal s’est retrouvée débordée et a finalement commencé à tirer sur la foule. La situation ne prendra fin que dans la nuit, après l’intervention de l’armée.
Bilan et conséquences
Il y aura une vingtaine de victimes mortelles côté panaméen et 4 côté américain. Et les conséquences de cette terrible journée seront durables. Les américains installés en dehors des zones militaires et du canal sont forcés de quitter leur maison, ils sont menacés, leurs véhicules, leurs commerces sont incendiés. Face à la catastrophe, le Panamá rompt officiellement toutes les relations diplomatiques avec les États-Unis, déclarant qu’il en serait ainsi jusqu’à ce que les États-Unis acceptent de renégocier les termes du traité définissant le statut de la zone du canal.
Plusieurs pays voisins offrent leur soutien aux panaméens, et sous la pression de la communauté internationale, les États-Unis finissent par accepter de négocier. Le chemin sera encore long mais mènera en 1977 aux historiques accords Torrijos-Carter, par lesquels la souveraineté totale sur le canal de Panamá est revenue aux panaméens le 31 décembre 1999 à midi.
Et voici comment la construction du canal de Panamá a amené un soulèvement populaire tragique, avant de permettre au Panamá de devenir l’un des pays les plus prospères d’Amérique Latine.
Illustration Drapeau du Panamá – Image par David Peterson de Pixabay
Photo des évènements du 9 Janvier 1964 – Propriété du Musée du Canal de Panamá